Si le comté de Nice fut rattaché à la France en 1860, les premières références de la présence juive en Provence remontent au 3ème siècle de l’ère commune !
Voilà de quoi faire taire ceux qui prétendraient encore que les Juifs ne sont pas Français, dans cette région comme dans d’autres !
On retrouve en effet des traces d’une vie juive dans le Cimellum romain, autrement dit l’actuel quartier résidentiel de Cimiez, sur les hauteurs de la ville.
Puis, au vent fréquemment mauvais des événements, Inquisition, poursuites, massacres, et j’en passe, arrivent dans la région des populations juives qui, après avoir soufflé un peu, s’établissent et recommencent à vivre, souvent pour le plus grand bien de la cité.
N’oublions pas que quel que soit le ciel qui abrite les Juifs, la règle talmudique est précise et immuable : Dina de malhouta dina, la loi du royaume est ta loi. Les Juifs doivent, tant qu’elles ne les mettent pas en porte-à-faux avec la Tora, respecter les lois du pays qui les reçoit, puis voit leurs enfants naître en son sein. C’est pourquoi à Nice comme ailleurs, les Juifs respectent les règles, les font respecter selon la profession qu’ils choisissent, et participent avec enthousiasme au développement de la ville.
Dès 1408 existent à Nice une synagogue et un cimetière, lieux essentiels à toute vie communautaire installée.
Après la Dédition de Nice [1], la communauté est tout de même soumise à des règles plus contraignantes.
En 1430, d’Amédée VIII annule toutes les tolérances et privilèges passés. Il oblige les Juifs à vivre dans un quartier séparé, à porter un signe distinctif, et leur interdit de prêter à usure. Difficile quand aucune autre profession ne vous est autorisée.
Quelques années plus tard, en 1446, Le Duc de Savoie ordonne l’installation d’un banc à part pour les Juifs à la boucherie, appelée mazel :

« … Vue la demande annexée, à laquelle il nous semble bon de nous conformer, en séparant les Juifs des chrétiens,… nous ordonnons qu’il y ait au mazel de Nice un étal séparé et un seul, pour les Juifs habitant la ville, sur lequel vous ordonnerez qu’ils achètent leurs viandes… leur interdisant… d’en acheter à un autre étal… ».
Et ce n’est pas tout.
« Nous ordonnons… que vous fassiez proclamer dans les lieux habituels de notre cité de Nice que tout juif habitant dans la dite cité, tant homme que femme, devra porter la rouelle comme les autres Juifs de nos États, et à un endroit visible et non caché… afin de pouvoir les distinguer des chrétiens… ».
La rouelle était un morceau d’étoffe rouge de 3 doigts de diamètre. A Nice, elle fut portée sur l’épaule gauche.

Pourtant on peut affirmer que du 14ème au 18ème siècle Nice, joyau du Comté de Savoie, comptait parmi sa population des Juifs relativement épargnés. Certains privilèges leur furent même accordés, concernant surtout la liberté de commercer.
Dès 1669 Nice s’ouvrit avec une grande libéralité aux Juifs néerlandais, flamands, allemands, et même oranais !
En 1687, Rosh Hodesh 5443, deux personnalités juives niçoises, Joseph Rodrigue et Alexandre Sacerdote, fondèrent la SBIN, la Société de Bienfaisance Israélite de Nice. A cette époque, la présence juive à Nice est devenue stable et prégnante. Elle se développe et compte dans la vie de la ville, constituant de ce fait une force à ne pas négliger. Pourtant nombreux sont ceux qui ont besoin d’assistance, de soins, de nourriture.
Joëlle Valente, historienne et éminente spécialiste de la vie juive à Nice, avance le chiffre d’un habitant juif pour cinquante habitants niçois. En outre, comme souvent, l’importance économique et sociale dépasse de très loin le poids numérique de la communauté.

En 1723 cependant, le roi de Sardaigne oblige la communauté juive niçoise, appelée alors « l’université juive », à retourner dans les limites de l’ancien ghetto, nom dont l’origine se trouve dans le quartier des fonderies de Venise où les ouvriers s’encourageaient par des « Gietto ! Gietto ! » qui donnèrent ce nom au plus vieux ghetto d’Europe.
En revanche le port d’un signe distinctif par les Juifs fut aboli par décret de 1750. Puis l’arrivée des troupes françaises républicaines brisa les chaînes du ghetto.
Pendant ce temps, les commerçants de Nice, et principalement les commerçants juifs, multiplient les démarches afin que soit mis en chantier le creusement du Port de Nice, Port Lympia, à l’encontre des notables de la cité qui préconisent plutôt le développement du port de Villefranche.
Cette polémique prendra fin en faveur de la création du Port Lympia et de l’établissement du port franc de Nice.
Dans une des lettres du Comte de la Chavanne au roi Charles Emmanuel, venu à Nice pour régler cette affaire portuaire, on peut lire :

« … Afin de faciliter aussi le commerce de l’université des Juifs de Nice et les faire participer par quelques fonds à la construction du nouveau port. Il leur sera accordé des exemptions et privilèges particuliers, notamment leur seront concédés des terrains hors du guet, dans l’enceinte du port… »

Dès 1762 est nommé un rabbin, essentiel à l’étude et à la structuration de la communauté. Il s’agit du Rabbin Margalid, dont la tombe est devenue lieu de pèlerinage au moment des fêtes de Tichri dès la mort du rabbin, en 1774.

Le premier conseil municipal niçois compta trois personnalités juives, messieurs Avigdor, Colon et Polonais.
Il faut savoir que jusqu’en 1943 la communauté juive niçoise ne fut jamais soumise aux persécutions observables ailleurs. Les Juifs vivaient en paix parmi leurs concitoyens.
Cependant à Nice comme ailleurs, on peut noter le paradoxe souvent inhérent aux communautés juives, celui d’être intégrée, et essentielle, à la vie de la cité, tout en étant différente, « à part quand même ».
Pendant la Seconde Guerre Mondiale la population juive de Nice s’accrut considérablement, avec plus ou moins de bonheur pour ces pauvres gens arrivant de la zone occupée, pourchassés uniquement parce qu’ils étaient nés !
Aux abords de la gare des scènes atroces de séparations, fuites et arrestations marqueront à jamais les esprits de certains témoins, tel le romancier Alfred Hart qui n’a jamais pu les relater dans ses conférences sans retenir ses larmes.
Avec la fin des protectorats marocain, tunisien, et de l’Algérie française, c’est encore une autre population juive qui débarque à Nice, les Juifs séfarades, qui quittèrent leur pays, où ils avaient parfois vécu depuis des millénaires.
Nice dut alors créer d’autres structures, répondre aux besoins multipliés, satisfaire les communautés nouvelles fleurissant aux quatre coins de la ville.
Chaque fois, à chaque époque, les équipes consistoriales ont apporté une pierre nouvelle à l’édification et à l’implication de la communauté juive au cœur de la ville, cité très vite adoptée par amour, et non par nécessité.

Nice a ouvert ses bras et donné sa protection à ceux qui sont venus l’aimer, et qui furent payés de retour par un climat bienveillant et familier, ainsi qu’un resserrement salutaire et bénéfique des liens extracommunautaires.
Dans ce patchwork indescriptible qui compose la population niçoise les Juifs ont su se faire une place citoyenne, responsable, attentive et sereine.
Outre les nombreux lieux de culte parsemés dans la ville, il y a surtout et avant tout la Grande Synagogue de la rue Deloye, en plein cœur de la cité, inaugurée en 1886, rénovée et décorée de vitraux de Théo Tobiasse, peintre auquel nul n’a jamais fait appel en vain.
La mobilisation immédiate de la communauté juive de Nice face aux agressions racistes de toutes natures, l’implication militante de haut niveau de sa radio, Radio Chalom Nitsan, le dévouement des femmes et hommes engagés dans la lutte contre les bêtes immondes jamais terrassées font de Nice un creuset d’espoir humaniste, malgré, pourrait-on aller jusqu’à dire, la menace mondiale ambiante, et malgré l’attentat épouvantable du 14 juillet 2016, qui a laissé la ville écartelée de souffrance, mais les Niçois réunis dans la lutte et la résistance à la violence de méprisables pseudo-croyants.
Les Juifs par milliers croyaient dur comme fer à l’adage « Heureux comme Dieu en France ! » A Nice ils le furent, ils le sont, ils veulent le rester.
Mais dès lors qu’ils viennent humer le parfum de la terre d’Israël, qui pourrait parier sur leur avenir ? Méditerranée ici, Méditerranée là-bas : abondance de biens ne nuit pas !

[1] Dédition de Nice à la Savoie : charte du 28 septembre 1388 qui scelle le rattachement de Nice à la Savoie.

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