Je suis trop gentille !

— Nous sommes invités à l’anniversaire d’une amie, et la baby sitter nous fait faux bond !
— Et tes beaux-parents ?
— Tu plaisantes ? Ceux-là, à part venir squatter le shabbat ! Je suis DESESPEEREEE !!!!
— Je vais te garder tes enfants, va à ta fête.
Conclusion : votre amie va courir chez le coiffeur, chez la manucure, sans doute faire les boutiques. Le soir de la fête elle sera rayonnante, admirée, critiquée (oui ça se produit souvent en même temps), libérée…
Et vous ?
Échevelée, agacée de votre gentillesse spontanée, dégoûtée de ne pas pouvoir suivre « Plus belle la vie » à cause des hurlements des gosses déchaînés.
Vous n’aviez pas pensé au bus, puis au shirut, au repas de ces enfants que vous aimez bien, surtout quand vous en êtes loin ! Vous n’aviez pas réalisé qu’ils fallait superviser leur toilette, raconter des histoires et pallier un sommeil difficile à venir.

Au retour de vos amis, encore enthousiastes, vous remarquez qu’ils discutent avec vous tout en restant collés à la porte d’entrée. Pourquoi ?
Pour vous en indiquer la direction, pardi !
Bien sûr et heureusement, cela ne se passe pas toujours ainsi.

Observons cependant ce qui se passe généralement dans le cas d’une gentillesse excessive.
Face à leurs proches ou à des inconnus, au bureau, en vacances, au téléphone, toujours et partout les « trop gentils » rendent service sans qu’on les ait sollicités.
Parfois même ils trouvent aux difficultés d’autrui des solutions qui impliquent leur participation active : ils s’engagent alors dans l’action au mépris de leurs préférences, multipliant les démarches destinées à rendre l’autre plus heureux.
Mais chaque fois ils proposent une aide qui leur coûtera des efforts, quand ce n’est pas des deniers sonnants et trébuchants. Et la plupart du temps ils remarquent qu’ils ne reçoivent que rarement la reconnaissance qu’ils seraient en droit d’espérer.
Pourquoi alors cette attitude d’abnégation réitérée ?

La gentillesse est une disposition naturelle, c’est-à-dire à la fois instinctive et éthique, qui relève du principe du plaisir et gratifie celui qui en fait preuve.
Elle relève aussi du principe de réalité « en s’inscrivant dans une société où cette conduite est sollicitée, reconnue et appréciée. » [1]

Si donc l’on ne souffre pas de gentillesse, en revanche la « brûlure » du « trop de gentillesse » peut engendrer chez l’individu des conflits pathologiques.
Car ici, le trop est de trop, justement.
« Le trop gentil a l’impression que sa disposition naturelle à la gentillesse a été instrumentalisée, abusée par l’autre », expliquait Gérard Huber [2] .
Le seul désir du « trop gentil » est de ne pas faire de peine.
Il est dans une quête absolue de l’approbation de l’autre, de son amour en retour « sur investissement ».
C’est une sorte de constant prix à payer pour obtenir le ticket d’entrée dans une vie où son existence prendrait enfin un sens.
Mais croire qu’un excès de gentillesse apportera l’amour et satisfera les besoins EST FAUX.
Cette croyance habite souvent des personnes souffrant d’une angoisse d’abandon violemment ressentie dans leur enfance. N’ayant jamais été acceptées ou reconnues, elles se perçoivent comme défaillantes, et ressentent de la honte à n’être pas « aimables ». Elles passent donc leur vie à dissimuler les prétendus défauts qui les empêchent d’être aimées et cultivent un sentiment de culpabilité acéré.
Parfois trop gentilles en réaction à la violence familiale, physique ou psychique, ou au contraire afin de se conformer à l’image de parents idéalisés, ces personnes se vivent en objet affectivement non investi, sans représentation symbolique.
Elles souffrent d’un déficit d’affirmation de soi qui les empêche d’attacher de l’importance à ce qu’elles veulent, pensent et ressentent. A force d’osciller entre deux rives, elles « boit (vent) la tasse », déclare Christophe André, psychanalyste, n’obtenant que déboires et déceptions en réponse à leur gentillesse exacerbée.
Le don d’elles-mêmes à l’autre ne leur procure pas le bonheur qu’elles espèrent, mais plutôt une grande insatisfaction, un mal-être, une frustration envahissante : cortège précédant souvent un état dépressif.
Leur besoin d’autrui les conduit parfois à des pathologies addictives. « Elles retournent cette violence contre elles de façon punitive afin d’être tolérées, acceptées, aimées. » affirme Chantal Hamon.
Ce faisant, elles s’épuisent et se perdent de vue.
Les personnes trop gentilles peuvent difficilement combler leurs manques en les nommant, puis en s’y confrontant afin de les surmonter.
Grâce à un travail de réparation, de restauration, de guérison des blessures narcissiques, elles se réapproprieront leur histoire sans plus la subir, de manière à induire de nouveaux comportements, qui feront d’elles les sujets qu’elles sont, et non plus des objets.

Conseils à l’entourage :

Prendre l’ascendant sur l’autre, décider pour lui, le diriger, c’est l’installer dans un état infantile, un état d’objet non responsable, voire non désirant. L’entourage doit comprendre ce qui se joue en réalité dans une relation où l’autre est trop gentil, et s’interroger sur son éventuelle responsabilité dans ce comportement. Il faut éviter de juger ou de ridiculiser, mais faire montre de compassion, l’aider à se confier, l’amener à faire la lumière sur ce « trop » de gentillesse, le conduire à comprendre qu’il peut obtenir amour et estime par d’autres biais que par le don sacrificiel échevelé. Lui enseigner à reconnaître et à accepter ses propres désirs, lui apprendre même à déplaire et à décevoir.
Ainsi on l’aidera à s’autoriser à dire enfin non, à occuper son espace, à être moins consensuel, afin de devenir lui-même.

Que faire :

Paradoxalement, mais de toute évidence, à trop donner on ne reçoit rien.
Vu que tout ce qui n’est pas gagné est moins apprécié, le premier pas à accomplir, une fois conscient de sa souffrance, consiste à cesser de la porter comme une fatalité.
Le temps est venu de s’ouvrir à une personne de confiance.
Cette personne aidera à se délivrer d’un poids immense que nul n’est condamné à subir et à porter indéfiniment, à se défaire d’une frustration issue de cette conduite dévalorisante d’échec constant.
Il faut comprendre alors que l’on s’est trompé sur les moyens utilisés pour obtenir l’estime et l’amour d’autrui, lequel préfère, en réalité, qu’on lui fixe des limites.
Si autrui est en manque de négations, si tout lui est acquis sans contraintes, il peut en effet adopter une attitude frustrante, voire sadique, envers son « généreux donateur ».
Découvrant peu à peu les causes anciennes d’une attitude faisant de soi un objet sans envies et sans besoins, on comprendra qu’on s’est interdit d’exprimer ses émotions, ses sentiments, qu’on s’est sévèrement bridé de tout désir, quel qu’il soit.
Il faut donc travailler à l’affirmation et à l’estime de soi, sans redouter les conflits, sans craindre de déplaire.
En s’attachant à se « re-narcissiser », c’est-à-dire à accepter et aimer l’image de soi, on se restaurera en tant que sujet et on amènera autrui à satisfaire les besoins qu’on taisait.
On apprendra à exprimer ses émotions, à se laisser guider par ses propres désirs et sentiments, et non plus par le désir des autres, par la réalisation de leur seul plaisir.

[1] Chantal Hamon, psychanalyste, Paris.

[2] Psychanalyste : 1946-2011.

 

Adolescente, je me souviens avoir été ébahie de recevoir le Prix de Camaraderie au lycée. Il me semblait pourtant n’en faire jamais assez pour les autres. Cela a perduré. J’ai passé ma vie à « me mettre en quatre », berçant les jumeaux de mon frère pendant que je révisais mes examens, sacrifiant mes envies au profit des désirs d’autrui, ratant mon agrégation parce que j’avais promis à une collègue de l’emmener en voiture et que je l’ai attendue en vain, au mépris de l’heure qui passait, jusqu’à arriver trop tard sur les lieux du concours. La psychothérapie m’a permis de comprendre que je niais mes désirs, mes besoins même, et que je me maintenais inconsciemment à l’état d’objet subissant. J’ai peu à peu découvert qui j’étais, j’ai travaillé à conquérir l’estime de moi et à trouver la force tranquille de dire non lorsque je pense non.
J’ai finalement obtenu mon agrégation ! Mivsam, 42 ans, enseignante.

 

A lire, parmi tant d’autres :

Le syndrome du chic type. Robert. A. Glover (Editions Payot – 238 pages).
Décrit précisément les causes et les symptômes des comportements induits par un trop de gentillesse, et propose une méthode de prospection analytique.

 

 

 

 

Vivre heureux. Psychologie du bonheur. Christophe André (Editions Odile Jacob. 2003. 335 pages).
Permet de faire le point sur nos aptitudes au bonheur et offre des clés pour bâtir une vie plus heureuse.

Catégories : Culture

0 commentaire

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *