Yves Mamou est un ancien journaliste du Monde. Il a également collaboré au Canard Enchaîné, à Libération et à La Tribune. Collaborateur régulier du site américain The Gatestone Insitute, il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Hezbollah, dernier acte (éd. Plein jour, 2013) et Le Grand abandon. Les élites françaises et l’islamisme (éd. L’Artilleur), paru le 25 septembre 2018.

FIGAROVOX.- Selon vous, l’immigration et l’islamisation auraient pour conséquence d’empêcher les Français de « faire nation » ? Quel lien faites-vous entre la supposée émergence perturbatrice de l’islam et la supposée désagrégation de la nation française ?

Yves MAMOU.- Le Grand Abandon est une tentative de reconstitution. J’ai essayé de savoir pourquoi et comment, à côté de la nation française, une nation islamique avait pu progressivement se constituer. Les déclarations fracassantes de Gérard Collomb, ex-ministre de l’Intérieur, au matin de sa passation de pouvoir à Edouard Philippe, Premier ministre, montrent que la juxtaposition de ces deux nations aujourd’hui en France engendre un risque d’affrontement. Nous sommes aujourd’hui «côte à côte» (sous-entendu musulmans et non-musulmans) a dit Gérard Collomb, mais rien ne garantit que demain nous ne serons pas «face à face». Cet avis de guerre civile en bonne et due forme a été proféré par l’homme qui, pendant un an et demi, Place Beauvau, a eu sous les yeux, au quotidien, tous les rapports de police et de gendarmerie.
Gérard Collomb est partie prenante de l’élite politique française. Il abandonne son poste en informant que la guerre civile est à nos portes. Une fuite qui à elle seule justifie mon titre «Le Grand Abandon». L’avertissement aurait eu plus de force s’il avait été proféré par un ministre en exercice. L’avoir prononcé sur le pas de la porte a fait que certains médias ne l’ont même pas repris.
La guerre civile se définit comme le déchirement d’une nation. Je ne sais pas si cette guerre aura lieu, mais il m’a semblé utile de m’interroger sur la présence de deux nations sur le même territoire national. Parfois, ce sont des frontières mal tracées qui créent les conditions d’un affrontement entre deux nations. Mais en France, la nation islamique a été fabriquée de toutes pièces. Elle est le résultat d’une politique. Les élites françaises, c’est-à-dire les grands corps de l’État, les partis politiques, les experts, les magistrats, les médias, les élites culturelles… ont, pour de multiples raisons, plusieurs décennies durant – et encore aujourd’hui – encouragé et légitimé l’immigration musulmane.
Cette préférence des élites pour l’islam a produit un fossé abyssal entre la France d’en haut et la France d’en bas. Le Baromètre de la Confiance que le Cevipof, le centre de recherches de Sciences Po, publie année après année, illustre parfaitement le phénomène: la majorité de la population française témoigne à l’égard de sa classe politique d’une gamme de sentiments qui va de l’écœurement au dégoût, en passant par le rejet et l’indifférence. Et sur quoi se cristallise cette rupture entre le haut et le bas de la société? Sur l’islam jugé trop invasif et l’immigration jugée excessive.
Curieusement, ce baromètre du Cevipof sauve la mise de deux institutions, l’armée et la police qui jouissent d’un taux de confiance de près de 80 %.

Peut-être, mais est-ce suffisant pour affirmer comme vous le faites que l’islamisme et l’immigrationnisme ont été voulus, théorisés, écrits et préparés à l’avance ?
L’immigration a été voulue et organisée, mais l’islamisation de cette immigration n’était sans doute pas inscrite au menu. Si l’immigration se poursuit malgré l’islamisation, c’est sans doute que nos élites la jugent insignifiante. Ou bien qu’elle leur est indifférente. Et c’est cette indifférence au risque de guerre civile que j’ai voulu souligner.
La constance avec laquelle le Conseil d’État a aidé à la constitution d’une nation islamique en France est sidérante. Je liste dans mon livre tous les arrêts du Conseil d’État favorables à l’immigration musulmane, favorables au voile, favorables au burkini, favorables à la burqa, favorables aux familles polygames et j’en passe. Idem pour le Conseil constitutionnel qui trouve conforme à l’intérêt général de laisser les écoles salafistes proliférer ou de supprimer, au nom de la «solidarité», les peines qui frappaient autrefois les délinquants qui facilitaient l’immigration clandestine. Mon livre passe également au crible l’étrange aveuglement de l’Observatoire de la laïcité quand il est question d’islam et l’étrange sensibilité du Conseil supérieur de l’audiovisuel aux récriminations des téléspectateurs musulmans.
Il existe bel et bien une préférence des élites françaises pour l’islam.
Tout ce que j’avance dans mon livre est sourcé. Le Grand Abandon est riche de plus de 700 notes et références. L’ordonnancement et la mise en relation de ces faits étayés et vérifiés entre eux mettent en lumière une évidence: il existe bel et bien une préférence des élites françaises pour l’islam.
Ce qui nous ramène à votre première question. Ce n’est pas seulement l’islam qui empêche aujourd’hui de faire nation. Les élites aussi ne veulent plus faire nation.
« L’antiracisme politique qui sévit aujourd’hui n’a jamais eu pour but de combattre le racisme. »

Que voulez-vous dire ?
Je n’ai pas remarqué de mobilisation des organisations antiracistes contre le rappeur Nick Conrad qui a chanté le meurtre des Blancs et des enfants blancs dans les crèches. Ni contre les Indigènes de la République ou le syndicat SUD Éducation qui ont organisé des séminaires « racisés » fermés aux « Blancs », ni contre Médine qui rêve de crucifier les laïcards au Golgotha, ni contre Mmes Ernotte (France Télévisions) et Nyssen (ministère de la culture) qui souhaitaient voir moins de «Blancs» à la télévision.
En revanche, quand Éric Zemmour a affirmé que les immigrés étaient surreprésentés dans les prisons, ou quand Georges Bensoussan a tenté d’expliquer que l’antisémitisme sévissait dans une large frange de la population musulmane en France, les associations antiracistes se sont unies pour les traîner devant un tribunal. Au nom de la lutte antiraciste!
Ces quelques exemples permettent de situer la zone d’action de l’antiracisme: faire taire tout critique de la «diversité». La «diversité» n’est pas un slogan antiraciste un peu creux. Je démontre dans mon livre que la «diversité» est en réalité une politique. Et cette politique passe par les organisations antiracistes subventionnées par l’État, par l’école où l’apprentissage de l’arabe est proposé aujourd’hui dès le primaire, par une politique du ministère de la Culture qui subventionne la «diversité» au cinéma et au théâtre, par l’Afnor qui labellise les entreprises pour plus de «diversité», par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui, avec son Baromètre de la «diversité» rêve d’imposer des quasi quotas ethniques sur le petit écran, et par divers lobbys comme le Club XXI d’Hakim el Karoui ou l’association Coexister…
Le Grand Abandon démontre que l’antiracisme politique et le discours diversitaire n’ont pas pour but de combattre le racisme. Ce sont des outils au service d’une réinitialisation des consciences. Ils servent à marteler
La gauche clientéliste flatte le communautarisme islamique.
que les immigrés de couleur sont par essence des victimes. Les services du Premier ministre diffusent actuellement des clips contre les violences sexistes. L’un de ces clips montre un « Blanc » qui agresse sexuellement une jeune fille d’origine maghrébine laquelle est défendue par une « Blanche » en couple avec un homme noir. Ce clip d’État d’une grande pureté idéologique assigne la violence sexuelle aux hommes Blancs et refuse d’évoquer celle qui peut aussi exister chez les « victimes » de couleur. J’affirme que cette victimisation forcenée des Français de couleur participe à la fabrication de la violence d’aujourd’hui.

Quand vous parlez des « élites », qui désignez-vous exactement ? Peut-on mettre tous les responsables politiques, économiques, culturels, médiatiques… dans le même panier ?
Mon livre passe en revue les partis politiques, le ministère de la justice, les associations antiracistes, l’université, l’école, les experts, les intellectuels, le monde du cinéma et du théâtre et de quelques autres encore… Chacun de ces groupes ou institutions œuvre, dans le champ qui est le sien, à la promotion de la «diversité» et de son corollaire le «vivre-ensemble». J’ai déjà évoqué le cas du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Mais je liste également le cas des intellectuels qui pétitionnent et lynchent médiatiquement toute personnalité publique qui émet des opinions non conformes aux leurs. L’écrivain algérien Kamel Daoud en a ainsi fait les frais quand il a expliqué que les viols de masse de Cologne en 2015 étaient dus à l’importation en Allemagne d’une culture patriarcale des relations entre les sexes. Les experts justifient et encouragent l’immigration au nom de supposés bienfaits économiques. Le ministère de la justice met à mal la liberté d’expression des Zemmour et Bensoussan… etc. J’ai 600 pages d’exemples et de logiques qui s’emboîtent les unes dans les autres et qui tous ensemble concourent à une révolution, «par le haut».
En trente ans, la société française a quitté un modèle laïque républicain pour être projetée dans un modèle multiculturaliste, communautariste et anti-laïque. Il s’agit d’une authentique révolution qui se poursuit encore aujourd’hui sous nos yeux. Les élites politiques, économiques et institutionnelles ont balayé le vieux modèle laïque et républicain sans demander l’avis du reste de la population. Les élites françaises ont été à l’origine du plus grand casse du siècle, lequel s’avère être aussi un casse de la démocratie et de la laïcité. Pour quel profit? Je crains que seul l’islamisme soit à même de tirer les marrons du feu.

Les politiques ont selon vous une responsabilité toute particulière dans la diffusion de l’islamisme. Tous, y compris le Front national, pourquoi ?
Le Front national a joué les repoussoirs. Par sa seule présence, le Front national a empêché l’émergence de tout débat sérieux sur l’islam et l’immigration. Les éructations de Jean-Marie Le Pen toujours à la limite du racisme et de l’antisémitisme ont contribué au caractère hégémonique du discours antiraciste. Marine Le Pen a bien tenté de redresser l’image de son parti, mais le mal était fait. Et il dure encore.
Quant aux gouvernements de gauche, ils portent une responsabilité historique que j’expose dans Le Grand Abandon.
Vous reprochez aux politiques, notamment de gauche («islamo-gauchistes») leur clientélisme, mais vous le reconnaissez vous-même en introduction, les musulmans deviennent une composante à part entière de la population: il faut bien que des politiques leur parlent à eux aussi?
La gauche clientéliste flatte le communautarisme islamique: baux emphytéotiques pour la construction de mosquées, heures de piscine réservées aux femmes, etc., cela dans le but de recueillir les voix des musulmans. L’islamo-gauchisme accompagne la violence islamiste pour conquérir le pouvoir. Ce sont deux démarches différentes, mais les deux instrumentalisent les musulmans comme outil de conquête du pouvoir.
En trente ans, la société française a quitté un modèle laïque républicain pour être projetée dans un modèle multiculturaliste, communautariste et anti-laïque.
Cette instrumentalisation de l’islam par la gauche a creusé la tombe de la laïcité. La laïcité non plus n’est pas un mot creux. C’est l’espace de la citoyenneté. Et la citoyenneté c’est l’espace du politique parce qu’il est débarrassé de tous les sujets qui ne prêtent pas à la discussion et à la négociation. Si la laïcité a cantonné la religion au domicile et aux lieux de culte, c’est précisément pour les sortir de l’espace politique. En réintroduisant la religion – et surtout la religion musulmane – dans l’espace de la politique, la gauche (mais aussi la droite) a disséminé les germes de la guerre civile.
Une République laïque ne doit reconnaître que des citoyens et non des communautés, et moins encore des communautés religieuses. Penser comme le font nos élus de droite et de gauche que la République doit des mosquées aux musulmans est une erreur et une trahison. Une erreur parce qu’elle conforte le communautarisme et le sécessionnisme musulman. Et une trahison parce que ce que la République doit aux Français, quelle que soit leur confession ou leur couleur de peau, ce sont des écoles, la liberté de pensée et d’expression.

Vous critiquez beaucoup aussi l’Église. Mais n’est-elle pas dans son rôle lorsqu’elle exprime une compassion à l’égard des migrants ? Faut-il toujours tout ramener à une vision politique ?
Le rôle des journalistes n’est pas de prendre les apparences pour le réel. Quand Macron va au Collèges des Bernardins et déclare aux plus hautes personnalités du catholicisme français qu’il faut « réparer » le lien abîmé entre l’Église et l’État, que croyez-vous qu’il fasse ? Une bonne action? Non, il fait de la politique. Il s’adresse à une Église catholique blessée par cent ans de laïcité et qui souffre d’une hémorragie de fidèles. Il lui dit: oublions la laïcité, revenez dans le jeu politique. Pourquoi Macron fait-il cela ? Pour se constituer des alliés dans son grand projet de bâtir ce qu’il appelle l’ « Islam de France ». Macron a besoin d’alliés pour se débarrasser de la laïcité. Quel meilleur allié que l’Église ?
Quant à la compassion de l’Église pour les migrants musulmans, il est bon de rappeler que cette compassion est sélective. L’Église ne défend pas les Coptes quand ils sont massacrés en Égypte, elle proteste à peine contre l’authentique épuration ethnique qui frappe les chrétiens d’Orient, et elle n’a guère eu de mot charitable pour les Yazidis massacrés par l’État islamique. C’est cette sélectivité compassionnelle qui interroge. J’essaye de montrer dans mon livre que la charité affichée de l’Église envers les musulmans est aussi une politique.
Quant aux médias, pour finir, vous y voyez des « falsificateurs de la vérité »?
Il y a quelques jours, le Journal télévisé de France 2 a diffusé un reportage sur l’épidémie d’attaques au couteau qui sévit à Londres. Mais la même épidémie sévit en France et aucun média ne dresse un tableau de la situation. Il faut feuilleter la presse de province, journal par journal, pour se rendre compte de l’ampleur des violences gratuites, souvent mortelles, commises au quotidien. Quand un journal évoque une attaque au couteau, on ignore le nom de l’agresseur et ses motivations. Comme s’il y avait une volonté d’anonymiser le « déséquilibré » ! Les médias, dans leur grande majorité, participent au casse du siècle. Ils n’informent plus sur les problèmes, ils prêchent la « diversité » et le « vivre ensemble ».

Catégories : Culture

1 commentaire

branding · 14 janvier 2019 à 0 h 40 min

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